Interview de Ségolène Royal dans le Journal du Dimanche

Publié le par Rédacteur

Quels sentiments suscite en vous la pendaison, samedi à l'aube, de Saddam Hussein ?
Un sentiment indéfinissable de dégoût. Je suis opposée à la peine de mort, fût-ce pour un dictateur abominable. De plus je m’interroge. Quel retentissement profond vont avoir sur une partie de la population irakienne les images de cette exécution diffusées dans le monde entier ? C’est ajouter l’humiliation à la honte. Il ne faudrait pas que la manipulation de ces images finisse par créer un sentiment de solidarité avec un dictateur dont les actes ont définitivement indéfendables.

La rencontre initialement prévue, hier soir, au bord du canal Saint-Martin avec les Enfants de Don Quichotte s’est, finalement, transformée en entretien téléphonique pour éviter les journalistes. Le regrettez-vous ?
Il avait été clairement convenu entre nous que cette rencontre se ferait sans la presse. Je ne voulais pas que la présence de caméras et d’appareils photo heurte la dignité des sans-domicile fixe installés là-bas. C’est l’association les Enfants de Don Quichotte qui, un peu par hasard, a informé, dans l’après midi, le correspondant de l’AFP, présent sur place, de ma venue. Probablement n’imaginait-elle pas que cette visite susciterait une telle affluence médiatique. Mais ce qui compte, c’est que nous ayons finalement pu nous parler longuement, à trois reprises par téléphone, et faire calmement un point approfondi.

Le président de l’association, Augustin Legrand, a évoqué votre position en faveur d’un « plan Marshall pour les SDF »…
C’est une expression. Mais il est insupportable que, en 2006, il y ait tant de gens qui dorment dans la rue. C’est d’autant plus révoltant que c’est la même chose tous les ans. Chaque hiver, on fait mine de découvrir un problème qu’on s’empresse d’oublier dès le printemps venu. Et les annonces tonitruantes que le gouvernement a improvisées dans l’urgence n’y changent rien. La question de l’hébergement d’urgence se pose, c’est évident. Mais plus largement, il faut un vaste plan pour lutter contre la précarité. Que la grande pauvreté existe encore dans un pays comme le nôtre, voilà le scandale ! D’autant plus que, en face de ces très nécessiteux, il y a ceux qui engrangent toujours plus de rendement, de profit, de stock-options.

Ferez-vous de la lutte contre la précarité un enjeu de votre campagne présidentielle ?
La droite a fait de la précarité un principe. Par son discours fermé, individualiste, elle ne cesse de prôner le « chacun pour soi ». Et il a fallu le rejet violent contre le CPE pour qu’elle marque un coup d’arrêt à cette logique impitoyable. Mais la France peut retrouver confiance en elle. Se reconstruire. Chaque citoyen a son rôle à jouer dans ce redressement. Il faut changer d’état d’esprit. Aujourd’hui, les Français se sentent seuls, abandonnés par une puissance publique qui n’assume plus ses missions de sécurité et de protection. Ils ont peur de la précarité. La peur tétanise, incite à l’inaction, au repli sur soi. Une campagne présidentielle est un formidable moment pour modifier l’image du pays et lui redonner de l’énergie.

Jetez-vous un regard positif sur l’avenir ?
Il n’y a pas de fatalité. Je refuse, de toutes mes forces, l’idéologie du déclin. La France peut se remettre d’aplomb très vite si elle le décide et si nous, responsables politiques, l’y encourageons. Je veux aider les Français à retrouver les valeurs fondamentales qui les font tenir et avancer ensemble. Le « ciment de la nation », ce n’est pas qu’une expression! C’est une force. A bâtir, solidairement.

L’année 2006 qui s’achève aura été extraordinaire pour vous à plus d’un titre. Quelle histoire !
C’est vrai, quelle histoire ! C’est une aventure extraordinaire mais qui me donne des obligations. Je sens au travers de mes contacts quotidiens avec les Français que j’incarne à leurs yeux un espoir. Mais c’est une responsabilité énorme. Je ne veux pas, je ne dois pas décevoir. C’est à moi de prouver que je suis à la hauteur de cette attente. En m’accordant ainsi leur confiance, les Français me font un magnifique cadeau. Je me dois de leur rendre ce présent en leur donnant envie d’avoir envie d’avenir.

Avez-vous souffert de la violence des attaques qui ont, parfois, été portées contre vous ?
De la part de mes adversaires, ce ne fut pas une surprise. Ce fut plus rude quand il s’est agi de mes amis. Le débat interne qui a secoué le PS a été âpre. Plus que je ne le pensais. Ce fut un choc : j’avoue que je ne m’attendais pas à cette brutalité. Mais tout ça est derrière nous. N’y revenons plus. Je ne suis pas du genre à regarder en arrière, ni à ressasser le passé. Je préfère préparer l’avenir. Il y a encore tant à faire!

Sentez-vous aujourd’hui le PS soudé derrière vous ?
Oui, vraiment, et c’est une bonne surprise. Je ne sens plus, aujourd’hui, les réticences, les moqueries, les dénigrements que je sentais encore au moment de mon investiture. Je n’entends plus les « Pourquoi elle ? Comment ça se peut ? ». Les arrière-pensées se sont évanouies, le climat s’est apaisé, place au travail. Tout le monde est bienvenu pour travailler avec moi, dans la loyauté et la fidélité. Je ne suis pas dans des logiques d’élimination ni de contrainte, au contraire. Le rassemblement doit être total. Mais je n’ai pas d’inquiétude : il est acquis que je garderai ma liberté d’action, mon autonomie, tout en prenant appui sur le parti. Il y a le rôle de la candidate et le rôle du parti. Peu importe si, parfois, il y a de légères divergences, chacun est dans sa fonction. Ce qui compte c’est que, au bout, nous soyons d’accord sur le projet présidentiel que je prépare.

Vous partez, en Chine, jeudi prochain pour cinq jours. On dit que ce sera votre seul grand déplacement pendant cette campagne.
On verra. Cela dépendra des événements et des circonstances, je ne ferme rien. Aller en Chine était une priorité. C’est en Chine que les mutations sont les plus fortes, les interrogations sur l’avenir les plus vives. J’y vais pour comprendre ce qui se passe, tisser des liens avec les responsables chinois. Les Chinois me facilitent d’ailleurs grandement l’organisation de ce voyage même si, pour l’instant, je ne veux pas en dire plus, car ils tiennent à la confidentialité. La France doit accompagner plus qu’elle ne le fait l’émergence de la Chine. Nous avons beaucoup de retard sur les Allemands, qui exportent trois fois plus que nous. Pourquoi? Nous ne devons pas craindre une Chine qui se développe. A l’échelle de la planète, ce qui est plus inquiétant c’est une Afrique qui ne se développe pas.

Votre récent voyage au Liban, à Gaza et en Israël, a été violemment critiqué ; ne craignez-vous pas que cela recommence?
Ce voyage n’a pas été une seule fois contesté sur place, que ce soit au Liban, à Gaza, ou en Israël. Les seules polémiques, subalternes, malhonnêtes, décalées sont venues de l’UMP. Mais c’est dérisoire. Ce qui m’importe, c’est d’avoir conquis la confiance de ceux que j’ai rencontrés là-bas. J’ai bien compris les points de vue en présence sans donner de leçons. Sans juger de façon péremptoire. Ce qui permettra, demain, je l’espère, d’aider au processus de paix.

Propos recueillis par Virginie Le Guay

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