Ségolène Royal : Un ordre économique juste

Publié le par Rédacteur

L’Hebdo des socialistes du 21 octobre est consacré aux propositions des trois candidats sur les questions économiques et sociales. Retrouvez ici l’analyse de Ségolène Royal et ses réponses à cinq questions tirées au sort de militants .

A la droite, l’économie et à la gauche, le social, à eux l’efficacité productive et à nous la générosité redistributive : cette vieille représentation d’une division traditionnelle du travail ne résiste plus à l’examen. Face aux défis du monde actuel, la droite est non seulement socialement destructrice mais aussi économiquement contre-performante. Sa soumission au court-terme du marché, sa mécompréhension du rôle moteur de la puissance publique, son clientélisme impénitent et son conservatisme plus ou moins compassionnel aux forts relents de darwinisme social, tout concourt à l’aveugler car tout se tient dans ce cercle vicieux qui tire le pays vers le bas : l’injustice sociale, l’incompétence économique et l’irresponsabilité environnementale.
Non, la paupérisation et la précarisation ne sont pas l’envers obligé de la modernité ! Non, les inégalités qui se creusent ne sont pas le prix à payer pour une économie compétitive ! Non, le chômage structurel n’est pas une fatalité et la mondialisation financière l’alibi de tous nos maux ! Non, l’après-pétrole n’est pas une contrainte à assumer à reculons : c’est une chance d’innovation et d’emplois nouveaux qui justifie une mobilisation cohérente.
La compétence n’est pas à droite, leurs résultats l’attestent : la création d’emplois marchands ne repart pas, notre commerce extérieur va mal, la dette file mais l’investissement se traîne, notre déficit de PME s’accentue, le rationnement de la recherche et le piteux état de nos universités font fuir les cerveaux et handicapent le pays dans l’économie de la connaissance, l’indigence du dialogue social et les relations du travail particulièrement mauvaises en France créent bien plus de rigidités que le Code du Travail tant décrié par le Medef, la Suède sera en 2020 libérée du pétrole mais la France est encore loin des objectifs de Kyoto et du tournant des éco-industries.
Il faudrait, nous disent-ils, revoir à la baisse nos protections sociales mais si notre taux d’activité (62,8%) atteignait celui de l’Europe du Nord (plus de 75%), nos régimes sociaux dégageraient un excédent de 35 milliards d’euros et non un déficit de 11 milliards ; cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas en corriger les défauts mais le plein emploi, c’est aussi cela : une marge de manœuvre financière pour créer des sécurités nouvelles. Ils prônent les vertus de la « séparabilité », version chic du travailleur jetable, alors que la croissance a besoin de confiance donc de sécurités économiques et sociales qui permettent de bâtir des projets d’avenir. Ils n’ont, au fond, pas compris l’essentiel : la relance de la croissance suppose un changement radical de politique qui fasse de la justice sociale non l’ennemie mais le ressort de la performance et du capital humain, non une vulgaire variable d’ajustement mais une richesse à valoriser car c’est, aujourd’hui, notre avantage concurrentiel le plus durable.
Nous sommes, nous socialistes, porteurs pour le pays d’un nouveau modèle de croissance qui lie solidement ensemble le plein emploi et le pouvoir d’achat, l’innovation et la création d’entreprises, l’investissement dans la formation et la sécurisation des parcours professionnels, un développement écologiquement responsable donc économiquement et socialement fructueux. A l’arrogance de gouvernement et aux adversaires du droit de grève, nous opposons les vertus avérées du diagnostic partagé, des efforts équitablement répartis et d’une démocratie sociale forte d’un syndicalisme de masse qui permette de rééquilibrer, dans l’intérêt bien compris des entreprises et de la société, les rapports entre le capital et le travail. Au patriotisme économique de façade, privatiseur de GDF et fauteur de vie chère, nous opposons le volontarisme industriel à l’échelle française comme européenne et l’Etat garant d’un pacte social rénové et affermi.

Le laisser faire, laisser aller, ça ne marche pas. Il est temps que la volonté politique reprenne la main pour bâtir un ordre économique juste et des sécurités sociales durables qui l’emportent sur les dérives d’un capitalisme spéculatif qui choisit la rente contre l’investissement d’avenir et le scandaleux enrichissement de quelques uns plutôt que le droit de chacun de vivre dignement de son travail. La France est riche de nombreux atouts que la droite gaspille : nous en ferons les leviers d’un redressement solidaire. Nous réhabiliterons la valeur travail que détruisent aujourd’hui les contrats précaires, les discriminations à l’embauche, les salaires bloqués et l’inquiétude du lendemain. Car la santé d’une économie dépend aussi de la motivation de ceux qui travaillent et les entreprises compétitives sont celles qui savent mobiliser toutes les compétences. Nous ferons le pari de l’intelligence collective et de la capacité des Français à définir ensemble un intérêt général sans perdants ni humiliés. Nous redresserons la France en nouant dans la clarté, sur des objectifs précis et négociés, ce pacte à trois – entreprises, salariés et pouvoirs publics – dont le pays a besoin pour saisir toutes ses chances, miser sur son capital humain et retrouver un désir d’avenir.


Questions - réponses avec les militants

Le déficit du budget 2006 ainsi que 2007, malgré les artifices utilisés par T. Breton, est et sera énorme, les dépenses prévues par le PS vont accroître ce déficit. Que prévois-tu pour permettre le désendettement de notre pays (pas de langue de bois, pas de comparaisons avec des pays qui font aussi mal que nous, des engagements concrets) ?

L’état des finances publiques est inquiétant. Les chiffres le montrent : le gouvernement Balladur de 1993 à 1995 et le gouvernement actuel ont lourdement creusé les déficits (2,7% du PIB en 2006) et donc la dette (64% du PIB en 2006). En revanche, entre 1997 et 2001, le déficit n’a cessé de se réduire : il était à 1,5% du PIB. Quant à Thierry Breton qui donne des leçons de morale «sur la dette que nous laisserons à nos enfants », il fait partie d’un gouvernement qui a baissé les impôts pour les plus aisés au moment où la croissance faiblit.

Pour mettre un frein à la progression de la dette publique, il faut d’abord cesser de distribuer des cadeaux fiscaux aux plus favorisés. Ensuite, il faudra généraliser la culture de l’efficacité dans l’utilisation des fonds publics : un euro dépensé doit être un euro utile. Enfin, le retour de la confiance et de la croissance et une politique volontariste pour l’emploi stimuleront les rentrées fiscales et sociales : ce n’est pas un vœu pieux, puisque nous l’avons fait avant 2002.

Dans le contexte de la mondialisation de notre époque, quels sont les moyens d’intervention du politique sur une grande entreprise française qui déciderait de délocaliser une grande partie de sa production française vers des pays où la main d’œuvre est moins coûteuse ?

Une délocalisation est un traumatisme. Un exemple dans ma région : actuellement, la société Aubade, implantée à Saint-Savin, au sud de Poitiers, envisage de délocaliser sa production en Tunisie, un an après avoir été rachetée par un groupe suisse. 280 emplois sont en jeu. C’est l’angoisse du chômage, le sentiment aussi que le travail que l’on a accompli pendant des années est brutalement nié.

Nous ne devons pas cependant oublier que l’Europe est la première puissance commerciale de la planète, la France la 4e puissance exportatrice du monde. Elle est aussi un lieu d’investissement privilégié pour les entrepreneurs étrangers qui apprécient qualité de la main d’œuvre et infrastructures. Il ne s’agit pas de nous replier derrière nos frontières : nous avons besoin de l’Europe et du reste du monde pour développer l’économie et l’emploi.

Mais notre ouverture au monde doit aller de pair avec une politique ferme de défense de notre emploi. Il n’y a pas de fatalité de la concurrence par les bas salaires et l’absence de droits syndicaux.

Les délocalisations internes à l’Union européenne, en direction des pays nouvellement adhérents, existent. Elles se feront de plus en plus rares, en raison de l’augmentation des salaires dans ces pays. Néanmoins, si je suis en situation, je me battrai pour faire interdire le versement d’aides européennes à des entreprises qui ont délocalisé. C’est une politique de gribouille : les fonds européens financent des aides à l’implantation dans un nouvel Etat membre mais sont aussi sollicités pour compenser les effets de la désindustrialisation dans les anciens Etats membres.

Pour les délocalisations à l’extérieur de l’Union, il faudra faire rembourser l’intégralité des aides publiques perçues par les entreprises qui choisiront de délocaliser.

Il est également indispensable que l’Union européenne se batte pour introduire dans le commerce international des exigences de normes sociales et environnementales. Il n’est pas question de fermer nos frontières au reste du monde, mais on doit pouvoir les fermer à des pays ou à des entreprises qui violent les droits du travail et se moquent de l’environnement.

Enfin, je crois que l’avenir de nos pays se situe dans les activités à haute valeur ajoutée, innovantes et créatives. C’est pourquoi, l’élan à donner à la recherche publique et privée en France et en Europe est une priorité absolue.

Comment comptez-vous revenir sur la réforme des retraites mise en place par la droite, et selon quelles modalités ?

Notre système par répartition est un contrat fondé sur un partage du temps entre vie professionnelle et retraite. Il doit être équitable entre les générations et au sein d’une même génération. L’allongement de la durée de vie est une bonne nouvelle, mais nos régimes de retraite ne peuvent ignorer cette évolution démographique : d’ici à 2050, les plus de 60 ans seront deux fois plus nombreux.

Ce que nous devrons faire demain, c’est prendre en compte toutes les questions que la droite a volontairement négligées :
- d’abord, il faut le plein-emploi car trop de salariés ont des carrières incomplètes et trop de jeunes doivent attendre des années avant d’entrer dans la vie active . Allonger la durée de cotisations dans ces conditions, c’est appauvrir les futurs retraités ;
- il faudra tirer toutes les conséquences de la pénibilité du travail. La loi Fillon n’a pas pris en compte l’énorme différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre ;
- les femmes ayant abandonné leur travail pendant quelques années ou ayant été contraintes de travailler à temps partiel ont des taux de retraite très faibles et inadmissibles ;
- il y a une contradiction majeure à allonger le temps de travail et à contraindre les salariés à partir en pré-retraite : nous avons un taux d’activité des seniors parmi les plus faibles en Europe ;
- de plus en plus de retraités, et notamment de retraitées, n’arrivent plus à vivre dignement : certains ne font plus qu’un repas par jour à cause de l’indigence de leur pension.

Tout ceci la droite l’a ignoré. La situation actuelle en matière de retraites est le reflet des inégalités de notre société. Qui plus est, la pérennité de notre régime par répartition n’est pas assurée : le déficit de la branche vieillesse sera de 2,4 Mds € fin 2006 et de 3,5 Mds € en 2005 pour le seul régime général. Le fonds de réserve des retraites que nous avons créé n’est pas abondé suffisamment depuis 2002.

Enfin, la droite a commis la faute majeure d’ignorer la négociation sociale. Ma démarche est à l’inverse : je crois à l’intelligence collective des salariés et des citoyens pour adapter et préserver notre système par répartition. La gauche a mis en place le Conseil d’Orientation des Retraites, dont les travaux associent les partenaires sociaux, au fait des enjeux. Pour les retraites, le meilleur chemin est de construire ensemble, pour le pays, des solutions garantes d’un contrat juste et durable.

Les revenus sont en baisse ou stagnent, les retraites sûrement aussi, les loyers augmentent de façon vertigineuse, même les salariés ont du mal à se loger. Comment comptez-vous répondre à cette angoisse et faire du logement une priorité ?

Le logement pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménages: un tiers du revenu des familles, beaucoup plus dans les grandes villes. Les étudiants rencontrent les pires difficultés pour se loger. La crise du logement nourrit l’exclusion.

La droite n’a rien fait pour régler cette crise. A chaque occasion, elle tente de modifier la loi qui oblige les communes à accueillir un minimum de logements sociaux. Neuilly-sur-Seine, ville la plus riche de France, a l’un des taux de logements sociaux les plus faibles : 2,6 %, loin des 20 % exigés par la loi.

Il faudra nous battre sur deux fronts : nous manquons de logements, de plus en plus de familles n’ont plus les moyens de se loger. 85% des constructions nouvelles réalisées en 1985 ne sont pas accessibles à 70% des ménages à cause de loyers trop élevés.

Notre projet comporte de nombreuses mesures fortes. J’en retiendrai ici seulement quelques unes :
- mobilisation du foncier disponible de l’Etat et généralisation des agences foncières régionales ;
- construction de 120.000 logements sociaux par an ;
- obligation de consacrer 25% des opérations immobilières à l’habitat social, dans les zones déficitaires ;
- revalorisation des aides au logement et mise en place d’un « bouclier logement » ;
- création d’une garantie mutualisée des risques locatifs.

Que comptez-vous faire concrètement pour améliorer la démocratie sociale dans les entreprises, particulièrement les PME/PMI et pour réduire les inégalités entre salariés des grosses entreprises et salariés des petites structures (en terme de droits sociaux, de formation, d’évolution de salaire et de carrière) ?

Le renforcement des syndicats est indispensable pour rééquilibrer les relations entre partenaires sociaux. L’instauration d’un dialogue social de qualité en dépend.

Les partenaires sociaux ne sont pas suffisamment consultés et associés aux grands choix qui préparent l’avenir. Les syndicats sont même parfois tenus à l’écart de décisions qui ont un impact décisif, comme on l’a vu avec le CPE.

C’est pourquoi le premier débat participatif que j’ai ouvert, il y a trois semaines, et qui a déjà donné lieu à plus de 110 débats organisés partout en France, porte sur cette question essentielle.

La synthèse de ce débat sera faite prochainement. Il en ressort déjà que si les incitations, fiscales par exemple, à l’adhésion syndicale, sont souhaitées, l’obstacle numéro un reste la difficulté de se syndiquer dans les entreprises petites et moyennes. Il faudra donc davantage protéger les salariés qui se syndiquent dans ces entreprises, mettre en place des institutions représentatives du personnel spécifiques pour les petites entreprises. Tout ceci suppose évidemment une négociation. J’ai déjà pris contact avec les grandes organisations syndicales et de nombreux syndicalistes participent aux débats. Plus de vingt ans après les lois Auroux, le chantier doit être rouvert : une démocratie sociale vivante est indispensable à un pays moderne et les entraves au droit syndical doivent être levées.

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